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En 2004, la sortie nationale de Night Watch (Ночной Дозор) fut un événement considérable pour le cinéma russe, alors en plein renouveau après une sombre décennie, marquée par l’effondrement de la production cinématographique du pays. Considéré comme le premier blockbuster de Russie, le film creva le plafond du box-office, à grand renfort de publicités impératives, s’offrant même le luxe de surpasser les succès américains du moment.

Critique et analyse

Quinze ans plus tard, que reste-t-il de cette superproduction d’envergure ? Un peu timide devant ses ors, j’ai abordé le film plein de bienveillance, malgré une présentation du distributeur français assez peu engageante : « Pendant plusieurs siècles, les forces de l’Ombre et de la Lumière ont coexisté dans un équilibre subtil … jusqu’à aujourd’hui. Les Autres de Night Watch, tels que les vampires, les sorcières ou les démons, sont dotés de pouvoirs surnaturels. Une succession d’événements mystérieux déclenche une prophétie ancestrale : un Elu va ainsi basculer dans le camp adverse, détruire l’équilibre et provoquer une guerre apocalyptique sans précédent ! » (sic)

Bien sûr, l’histoire n’a aucun intérêt mais, sur le papier, elle est à peu près intelligible – dernier moment de clairvoyance avant le délire paranormal … et l’éditeur d’ajouter un slogan racoleur pour appâter le taisson : « Quentin Tarantino présente [le film] comme le nouveau Seigneur des Anneaux. » L’occasion est toujours trop belle de montrer qu’en matière de cinéma, on peut être un cinéaste de premier plan et un fétichiste du plus mauvais goût.

La première séquence oppose, comme dans un mauvais jeu vidéo, deux armées venues « de la Nuit des Temps » mais semblables à des osts médiévaux. Vladimir Menchov apparaît sur son beau cheval, le visage grave. Le Bien et le Mal sont prêts à s’affronter pour la domination du monde ! Et tout va se jouer sur … un petit pont de pierre. Il ne manque que le chevalier Bayard pour refaire Garigliano. Soudain, au milieu de la cohue (filmée au ralenti, comme il se doit) et des effusions de sang, Menchov est pris d’un doute. Il décide d’arrêter le massacre et passe un pacte avec son ennemi, entouré des deux armées figées par un sortilège. Le décor est planté. Pas de doute possible, Night Watch s’annonce comme un nanar de premier ordre.

On pourrait s’amuser à décrire chaque séquence, chaque scène, chaque ligne de dialogue. Mais je dois le confesser, au risque de passer pour un « apôtre » de l’Ombre et d’être impitoyablement traqué par Constantin Khabenski, je n’ai pas réussi à aller jusqu’au bout du supplice. Pour me satisfaire d’un bon nanar, j’ai besoin d’un scénario linéaire – ou de Paul Préboist en curé farceur, à défaut. Celui de Night Watch est incompréhensible.

Tâcheron hypnotisé par les lumières d’Hollywood (où il travaille désormais, toujours aussi mal inspiré), le réalisateur Timour Bekmambetov cherchait manifestement à montrer ses qualités spongiaires quand il s’attela à commettre ce film : de Matrix (Wachowski, 1999) à Star Wars (Lucas, 1977) en passant par SOS Fantômes (Reitman, 1984), tout l’éventail du cinéma américain de science-fiction défile sous nos yeux, telles des marques imprimées sous le nez du spectateur – soit dit en passant, de véritables marques sponsors apparaissent régulièrement à l’écran.

Supermarché du spectateur moyen, Night Watch propose toutes les saveurs, pour tous les goûts : du vampirisme un peu gore, du ralenti en veux-tu en voilà, du rap en sourdine, du rock agressif pour souligner l’action, du Nescafé, de la sorcière spécialisée en avortement à distance, du paranormal, de l’action virile, du sentiment, une chouette qui se transforme en femme, un vortex capillaire, un boucher de Moscou qui deale du sang de cochon … j’en oublie sûrement !

Les pauvres acteurs se démènent comme ils peuvent au milieu de ce cloaque ; et je repense au sublime Alec Guinness, perdu sur le tournage du premier Star Wars, incapable de comprendre ce qu’il fait là, ni pourquoi il a accepté ce rôle. Que viennent faire Vladimir Menchov, Valery Zolotoukhine et Rimma Markova dans cette galère ? On souffre en voyant Constantin Khabenski en ersatz de Keanu Reeves, avec ses lunettes de soleil et sa capuche.

En me promenant sur internet, je constate que le film a donné lieu à des interprétations assez poussées sur le Bien et le Mal, sur les aspects slaves (voire soviétiques) des personnages, de leurs voitures, de leurs costumes. Après tout, il y a bien des thèses de doctorat sur les œuvres d’Amélie Nothomb. Si certains veulent absolument défendre ce film, leurs commentaires sont les bienvenus sur cette page ! Si j’en crois ce que je lis, la version internationale est un peu différente de l’originale russe.

Comment voir ce film ?

Le DVD / Blu-ray francophone de Night Watch (2008) se trouve encore aujourd’hui assez facilement sur les principaux sites de vente en ligne. Au moment où je consulte sa page, Amazon le propose à partir de 0,42 €. C’est encore trop cher payé : attendez les soldes !

Cet article a 6 commentaires

  1. esquissesderussie

    Les trois trucs dont je me rappelle, quinze ans après avoir vu ce film:
    — C’est avec lui que j’ai découvert et commencé à détester Khabenski et Bekmambetov, qui, dans mon esprit, se disputent toujours le titre de «pire truc qui soit arrivé au cinéma russe»
    — Lagoutenko qui cabotine
    — LE PRODUCT PLACEMENT SI SUBTIL

    Notons au passage que c’est une mauvaise adaptation série de romans qui sont déjà fouillis à la base, et qui s’étalent sur six ou sept volumes (les films ne touchent que les deux premiers, ce qui explique en partie l’incohérence et l’impression d’inachevé)
    C’est le triste début de cette tendance «on va faire comme à Hollywood mais en mieux» (non) qui, aujourd’hui encore, ruine le cinéma russe.

      1. esquissesderussie

        En parlant de Tarantino, d’ailleurs, il a déclaré l’année dernière dans une interview à RIA :

        ***
        Journaliste : D’après ce que je sais, vous connaissez plutôt bien notre cinéma. Quel est votre réalisateur préféré, qu’il soit contemporain ou pas ?

        Tarantino: Je crains que le seul réalisateur contemporain que je puisse nommer soit Timour (Bekmambetov – ndlr). J’adore son « Night Watch », je crois que c’est un film fantastique. D’ailleurs, j’ai regardé les films de ses débuts, par exemple « Gladiatrix » (« The Arena » dans la version anglaise – ndlr), il est aussi épatant. J’adore tous les acteurs russes qu’il a choisis. Je suis donc un très grand fan des premiers films de Timour.

        https://ria.ru/20190808/1557274957.html

        ***

        Pas étonnant que Tarantino, qui assume son amour du kitsch, cite comme référence du cinéma russe contemporain un remake d’un film d’exploitation italien des années ’70 qui se tape une moyenne de 2.9 sur IMDB, et qui oscille également entre navet et nanar, juste avec moins de sous (et plus de nichons) que Night Watch. La quasi-totalité du film est montée comme un cilp musical (Bekmambetov a commencé sa carrière en tant que « clip-maker ») et par moments c’est vraiment à vomir (le scènes de combats en particulier). D’ailleurs, Roger Corman est producteur exécutif du film ce qui, comme on le sait, est un gage de qualité (ou pas). :o]

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