La comédie satirique hitlérienne reste une niche assez difficile à explorer en toute quiétude ; moins explicite que la nazisploitation, certes, mais plus gênante que Jean-Paul Belmondo face à la demi-sœur du Führer dans son chalet autrichien. Avec Hitler est kaput ! (Гитлер капут!), toutes les excentricités sont permises, sans soucis du mauvais goût. On adore ou on fulmine – question de tempérament.
Critique & analyse
Convenons ensemble de certaines évidences : ce film est réservé à un dimanche soir de semi-confinement, veille d’une semaine par trop déprimante, remplie d’incertitudes quant à l’avenir proche ; il ne faut pas voir ce film après un Tarkovski ou un Zviaguintsev ; il faut faire le plein de deuxième, troisième et quatrième degré ; il ne faut pas être attaché à la vérité historique ; il faut être confortablement installé et prétexter vouloir être seul pour visionner, par exemple, un documentaire sur Dziga Vertov (cela devrait suffire à éloigner les curieux). Dès lors, Hitler est kaput ! peut apparaître comme une bonne option de divertissement.
Le synopsis, déjà, est un summum : dans les dernières semaines de la Seconde Guerre Mondiale, Shurenberg (Pavel Derevianko), un espion soviétique déguisé en officier SS, déambule dans les rues de Berlin au volant de sa berline high-tech, entre sa maison et le quartier-général d’Adolf Hitler. Surveillé par les nazis, courtisé par Martin Bormann (Iouri Stoïanov), dévisagé par Heinrich Muller (Iouri Galtsev), ami de Fifty-Shillings, le DJ américain du Führer, il est bien vite assisté d’une plantureuse opératrice radio (Anna Semenovitch), dont il tombe amoureux. Mais quand la gestapo s’en mêle, la torture est au bout du couloir !
Peut-être mon audace me fera-t-elle perdre toute crédibilité pour la suite de ce blog : on peut aimer ce film. Soit dit en passant, j’avais détesté Henri Tisot en Hitler dans Le führer en folie (Clair, 1974) mais j’avais adoré Il est de retour (Wnendt, 2005), pour ses audaces, à mi-chemin de la comédie satirique et du documentaire. Si cette nouvelle aventure déjantée au cœur du IIIe Reich se concentre essentiellement sur le destin d’un espion soviétique, elle fait aussi la part belle à une reconstitution délirante de la capitale en proie aux offensives ennemies. C’est simple : il y a une nouvelle idée visuelle ou un nouveau gag toutes les trente secondes, avec (parfois) des trouvailles très amusantes. On pense aux inspirations évidentes du réalisateur-scénariste : l’absurdité décalée des Monty Python, les fresques pastiches de Woody Allen (Paix et amour, 1975) ou Mel Brooks (La folle histoire du monde, 1981), l’univers cartoonesque de Tex Avery, le film The Mask (Russell, 1994) ou de plus récents films parodiques comme Big Movie (Friedberg, Seltzer, 2007) ou la série des Scary Movie.
Devant une telle avalanche de références, on pourra trouver le résultat un peu fade. Il est vrai que le scénario ne fait pas dans la finesse. En témoigne l’étonnante scène d’ouverture, qui déclencha un véritable scandale en Russie : un juif en pyjama rayé, considéré comme « le plus chanceux de tous », est conduit dans une ruelle étroite pour être fusillé par un bataillon de SS, mais il échappe encore une fois à la mort grâce à ses dons de contorsionniste. Pour cette scène, et bien d’autres, une interdiction du film fut réclamée au Ministère de la Culture par plusieurs associations, en vain. Rire avec la Grande Guerre patriotique reste difficile pour une partie du public, en témoigne, dans un autre genre, la laborieuse production/diffusion de Prazdnik (Krasovski, 2019).
Honnêtement, le mauvais goût assumé, les pitreries des acteurs, les trouvailles visuelles et la musique (dont Oops!… I Did It Again, la reprise de Britney Spears par l’allemand Max Raabe) rendent l’ensemble assez jouissif, à condition de ne rien en attendre de sérieux. Les blondes pulpeuses rivalisent sans mal avec les pussycats de Russ Meyer, et il faut voir Iouri Stoïanov en Bormann efféminé, amateur de flamenco et de regards lubriques. Même la performance de l’ancienne patineuse Anna Semenovitch est grotesque ; c’est dire si le réalisateur n’est pas dupe.
Comment voir ce film ?
Aussi étonnant que cela puisse paraître, Hitler est kaput ! est disponible dans une belle édition DVD / Blu-ray en France (MEP Studio, 2011), en version originale sous-titrée. On la trouve facilement sur internet pour quelques euros ; il serait dommage de s’en priver !