Dix-sept moments de printemps (1973)

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L’intrigue | En 1945, dans les dernières semaines du Reich, un espion soviétique infiltré dans la garde rapprochée du Führer tente de faire échouer les négociations secrètes visant à établir une paix séparée entre l’Allemagne nazie et les Alliés.

Réalisé par Tatiana Lioznova
URSS / 1973 / 12 x 70 mn (env.)
Avec Viatcheslav Tikhonov, Leonid Bronevoï, Oleg Tabakov, Ekaterina Gradova

Très populaire lors de sa diffusion en Union Soviétique, Dix-sept moments de printemps (Семнадцать мгновений весны) est une série télévisée de douze épisodes qui met en scène une légende de l’espionnage de fiction : Stierlitz.

Qui connaît le mystérieux Max Otto von Stierlitz, en France ? La plupart des membres de la diaspora russe, quelques russophiles et les plus cultivés de nos agents des services de renseignement ; c’est à peu près tout, autant dire pas grand monde. Pourtant, ce personnage fictif d’espion soviétique infiltré dans les plus hautes sphères de l’appareil nazi demeure très célèbre dans son pays natal. Né en 1966 sous la plume de l’écrivain Julian Semenov, Stierlitz incarne une figure idéale de l’agent secret soviétique, froid, méthodique, dévoué à sa patrie et capable, par sa ruse et son intelligence, d’accomplir les plus délicates missions au cœur du danger. En cela, il apparaît comme l’exact opposé du James Bond virevoltant de Ian Fleming (puis de la série de films à succès).

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Le personnage mythique de Stierlitz serait-il né dans les couloirs de la Loubianka ? Certains journalistes russes affirment que c’est Iouri Andropov lui-même, alors chef du KGB, qui aurait imaginé une nouvelle série d’espionnage, centrée autour d’un héros issu des services de renseignement soviétiques.

Au milieu des années 1960, en pleine Guerre froide, le cinéma et la télévision participent largement à la construction de la mythologie des espions : en Occident, les aventures de James Bond (incarné par Sean Connery, depuis 1962) pulvérisent les records d’entrée en salles – en France, le personnage de OSS 117 est adapté au cinéma par André Hunebelle ; en URSS, la série télévisée Le Glaive et le bouclier (Bassov, 1968) remporte elle aussi un grand succès auprès du public, tout comme deux films adaptés de romans de Julian Semenov, Aucun mot de passe nécessaire (Grigoriev, 1967) et Major Tornade (Tachkov, 1967). Ces deux histoires retinrent manifestement l’attention d’Andropov, qui convoqua l’écrivain et lui demanda de développer l’un des personnages secondaires, le tchékiste Vsevolod Vladimirovitch Vladimirov, alias Maxime Maximovitch Isaïev, alias Max Otto von Stierlitz. Afin de rendre parfaitement crédible sa nouvelle histoire, Semenov aurait eu accès à certaines archives des services secrets, notamment les dossiers concernant Willi Lhemann (alias Breitenbach), officier de la Gestapo puis du RSHA (services de renseignement nazis) qui fournit de précieux renseignements aux soviétiques jusqu’à son exécution en 1942. Toutefois, la figure de Stierlitz semble être un astucieux mélange de plusieurs personnalités, plus ou moins célèbres, dont la liste n’est pas exhaustive (Semenov lui-même évoqua plusieurs noms, dont Iakov Bloumkine, Alexandre Korotkov, etc.). On lit aussi, ça et là, que l’écrivain rencontra l’ancien général SS Karl Wolff, qui venait d’être libéré de prison au motif d’une santé fragile et qu’il aurait rétribué ses entretiens en vodka et caviar. En matière d’espionnage, dans la réalité comme dans la fiction, il est toujours difficile de séparer nettement la vérité de ses multiples apparences.

Le récit Dix-sept moments de printemps fut d’abord publié sous forme de feuilleton dans la Pravda, puis édité en librairie, avec un certain succès public. La question de son adaptation en série télévisée fut posée presque immédiatement mais trois années s’écoulèrent entre les premiers jets du scénario et la diffusion sur les écrans. La mise en scène de cet important chantier, très coûteux, fut confiée à la réalisatrice Tatiana Lioznova, qui sortait du succès de Trois peupliers dans la rue Pliouchtchikha (1967). Il semblerait qu’elle soit à l’origine du choix de Viatcheslav Tikhonov pour le rôle de Stierlitz, alors que les candidats potentiels étaient légion (Innokenti Smoktounovski, notamment), ainsi que de la magnifique séquence où l’espion échange de doux regards silencieux avec son épouse dans une taverne – façon pour la réalisatrice d’humaniser son espion marmoréen. Le tournage de la série se déroula en partie à Moscou, dans quelques décors urbains et au sein des studios Gorki, ainsi que dans plusieurs décors naturels, censés représenter l’Allemagne et la Suisse du printemps 1945 : l’équipe filma dans les rues de Riga (alors RSS de Lettonie) puis en RDA, à Berlin et à Meissen.

Initialement prévue pour être diffusée le 9 mai 1973 (jour anniversaire de la victoire de 1945), la série fut finalement présentée aux spectateurs début août, afin de ne pas éclipser le voyage de Brejnev en Pologne et en RDA. Les légendes, quasi folkloriques, affleurent sitôt que l’on évoque la première diffusion de Dix-sept moments de printemps à la télévision soviétique : « Quand Stierlitz marche dans Berlin, les rues de Moscou sont vides », la criminalité s’arrête et les familles déchirées se réunissent. Des années plus tard, de nombreux journalistes continuent (en fantasmant un peu) d’attribuer la vocation originelle de Vladimir Poutine à la découverte de cette série, diffusée deux ans avant son entrée au KGB. Au-delà des mythes, il est certain que la série fut un immense succès, qui contribua à sa pérennité au cours des décennies suivantes. Les spécialistes s’accordent généralement sur une audience de 50 à 80 millions de téléspectateurs à chaque épisode.

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Comment expliquer l’incroyable succès de cette série, qui fut même colorisée et rediffusée à la télévision russe en 2009 – outre le fait qu’il n’y avait que quatre chaînes de télévision dans les années 1970 ? La réponse n’est peut-être pas à l’écran, mais hors-champ.

Il faut dire qu’à l’écran, la série est particulièrement austère. À l’image du roman, environ quatorze heures de programme racontent, par le détail, les circonvolutions administratives de Stierlitz au sein d’un appareil nazi technicien, reclus dans des bureaux immaculés, reliés entre eux par de tristes couloirs surveillés par des gardes SS impassibles. De longues séquences de discussions rythment les épisodes et perdent régulièrement le téléspectateur dans un entrelac d’intrigues secondaires, fomentées par des dirigeants nazis qui rivalisent d’ingéniosité pour conserver leur influence dans les hautes sphères du IIIe Reich – autant de nouvelles pistes à explorer ou sécuriser pour un Stierlitz taiseux, dont on ne saisit généralement la pensée que par une voix-off en forme de bouffée d’oxygène. Le téléspectateur prudent et attentif, qui n’est pas toujours un historien spécialiste de l’Allemagne au XXe siècle, se doit de noter le nom, le rôle et la pensée des personnages principaux s’il veut parfaitement comprendre l’épisode suivant, sinon gare à la confusion entre Müller, Schellenberg, Kaltenbrunner, Wolff, Schlag et Pleischner ! Ainsi présentée, la série est imbuvable. Pourtant, cinquante ans après sa création, elle reste hypnotique.

Ces faiblesses apparentes (lenteur, contemplation, complexité) constituent une extraordinaire force d’inertie, un contrepoint aux modèles cinématographiques du genre qui, trop souvent, basculent vers le thriller traditionnel, où l’action pure (courses-poursuites, échanges de tirs, etc.) succède à la minutieuse observation statique – qui constitue l’essentiel du travail d’un agent sur le terrain. En matière d’action, avec Stierlitz, le spectateur en est pour ses frais : s’il lève le bras ou un sourcil en gros plan, c’est déjà une concession. À titre de comparaison, Conversation secrète (Coppola, 1974) ou La vie des autres (Donnersmarck, 2006) sont des films épileptiques. Cette langueur devrait être mortifère mais elle se transforme, dès les premières minutes dans la forêt, en esthétique de l’anagogie, en ralentissement des corps et de leurs mouvements, en crépuscule magnifique (comme chez Visconti). Jamais le spectateur n’est confronté à la réalité d’une guerre qui se termine, à la dureté des combats livrés dans la banlieue de Berlin. Pas un coup de feu, pas un obus, à peine quelques sirènes lors d’un épisode ; jamais de tension dramatique artificielle, simplement des mots, des échanges de regards, un silence de plomb et une vision bureaucratique de l’espionnage, passionnante dans sa complexité et son rapport au temps, la ressource la plus précieuse d’un agent. Rares sont les objets cinématographiques ou télévisuels capables de proposer une telle intrication.

Du reste, le traitement des personnages principaux relève de la même complexité. Les Allemands, notamment, ne sont plus les monstres déshumanisés de Donskoï (L’arc-en-ciel, 1944) ou des films de propagande des années Staline. Schellenberg, Müller et Kaltenbrunner apparaissent en stratèges intellectuels, doués d’importantes capacités de travail et, pour certains, d’un dévouement fanatique à leur service, voire à leur patrie. Moins caricaturaux, les nazis sont d’autant plus difficiles à combattre pour Stierlitz, dont le triomphe personnel, sans effusions, appelle la victoire totale des Soviétiques, quelques semaines plus tard. Cet aspect de la série ne fut pas sans provoquer quelques débats en Union Soviétique, certains critiques considérant que le rôle déterminant de l’Armée rouge dans la victoire de 1945 était minimisé par rapport à celui du NKVD ; afin d’éviter une polémique inutile, la production ajouta, dans plusieurs épisodes, de véritables images d’archives des forces armées. En définitive, le personnage le plus caricatural reste peut-être Stierlitz lui-même, trop concentré, trop marmoréen pour être crédible. Amusé, Kim Philby, le célèbre transfuge britannique, déclara qu’avec un tel visage sans émotions, « Stierlitz n’aurait pas tenu une journée ».

Si les Allemands sont les premiers ennemis de Stierlitz, l’espion soviétique se bat contre un autre ennemi aussi redoutable, les Américains et les Britanniques, pourtant alliés de l’Union Soviétique pendant la Seconde Guerre mondiale. Cherchant à négocier une paix séparée en Italie (l’opération Sunrise), les diplomates occidentaux sont présentés comme des traitres qu’il convient de démasquer. En cela, Dix-sept moments de printemps apparaît comme une sorte de prequel à la Guerre froide, justifiant par l’exemple la division du monde contemporain en deux blocs ennemis, ainsi qu’une astucieuse opération de propagande en faveur des agents secrets soviétiques, héros silencieux et gardiens intangibles de la mère patrie, que chacun se doit d’admirer.

Enfin, il est possible d’appréhender la série à l’aune d’une critique métaphorique de la société soviétique elle-même, particulièrement des années Brejnev. Pour réussir à atteindre les sommets de la hiérarchie nazie et gagner en influence, les dignitaires conspirent, tendent des pièges, trahissent des camarades ou des amis, se vautrent dans l’hypocrisie, baissent les yeux quand ils sont humiliés par un supérieur ; les bureaux froids du RSHA ressemblent, à s’y méprendre, aux bureaux soviétiques. Dans les derniers épisodes, Müller avoue à Stierlitz qu’il ne croit plus dans la victoire finale du national-socialisme et pense déjà à l’après-Hitler. Ne peut-on y voir un reflet de l’URSS désenchantée des années 1970 et de sa population, consciente des failles de l’idéologie officielle mais résignée à faire semblant pour (sur)vivre ? Si tel est le cas, ce n’était certainement pas une volonté du scénariste-écrivain Julian Semenov, encore moins de la réalisatrice Tatiana Lioznova, qui fut largement récompensée pour cette série.

Cette atmosphère crépusculaire et technicienne, presque lyrique dans son agonie sans fin, témoignage d’une société malade qui ne cesse de mentir, aux autres et à soi-même, est l’un des nombreux intérêts de cette série. Dans les années 1970, Dix-sept moments de printemps reflétait idéalement les contradictions de la société soviétique, partagée entre le spectre d’une catastrophe finale et la réalité quotidienne d’une continuité immobile, sans fin. Que pouvait-on prévoir en 1973 ? Finalement, le spectateur se retrouvait dans le Stierlitz des dernières images, assis au bord d’une route, perdu dans ses réflexions sur le passé, la gloire et l’avenir. Cinquante ans plus tard, un téléspectateur occidental peut découvrir cette série avec le même effet miroir – hypnotique contemplation de notre condamnation « à vivre dans le monde où nous vivons ».

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  • Épisode 1 : Février 1945. Alors que Berlin est bombardée et que les Alliés progressent irrémédiablement vers la capitale allemande, les hauts dignitaires du régime nazi continuent de croire à la victoire. Parmi eux, l’austère Standartenführer Max Otto von Stierlitz, officier de l’Office central de la sécurité, chargé de traquer et combattre les ennemis du Reich. Réputé pour ses remarquables états de service et son zèle, célibataire, il vit dans une confortable maison de Potsdam. Alors que son nom est évoqué dans un rapport embarrassant, on apprend à la fin de l’épisode qu’il est, en réalité, un espion soviétique.

Cet épisode introductif prend tout son temps pour installer les principales figures de la série – vrais dignitaires nazis et personnages fictifs. Il débute par une jolie séquence dans une forêt, où Stierlitz observe posément la nature et les oiseaux ; étonnante scène lyrique, inhabituelle dans un récit d’espionnage au cœur de la guerre, mais qui donne la couleur de la série : la solitude, le silence et une atmosphère grisâtre, très pesante.

  • Épisode 2 : Moscou demande à Stierlitz de trouver quel dignitaire nazi serait susceptible de traiter avec les Alliés. Quatre choix s’offrent à lui : Göring, Himmler, Goebbels et Bormann. Alors que Müller, le chef de l’Office de la sureté du Reich, continue secrètement de fouiller dans les rapports de ses missions passées, Stierlitz s’intéresse à un pasteur soupçonné d’aider les ennemis de l’Allemagne.
  • Épisode 3 : Stierlitz continue de rassembler des renseignements sur les dignitaires nazis, en particulier sur Himmler, qu’il juge le plus enclin à vouloir traiter secrètement avec les Alliés. Un couple d’opérateurs radio sous couverture lui permet de communiquer avec Moscou depuis une forêt isolée cependant qu’à Berlin, l’enquête à son sujet s’intensifie.

Une magnifique séquence dans un restaurant marque ce troisième épisode : Stierlitz se souvient avec nostalgie de la dernière fois où Moscou l’autorisa à voir brièvement son épouse, bien avant la guerre. La scène est filmée sans dialogues, sans voix-off, juste avec des jeux de regards et des gros plans ; une sobre partition au piano enrobe le tout. Il n’y a pas une larme, pas un sourire, pas une émotion visible, et pourtant, c’est une incroyable scène d’amour, aussi pudique que déchirante.

  • Épisode 4 : Alors qu’il se rend chez ses opérateurs radio, Stierlitz découvre que leur immeuble vient d’être la cible d’un bombardement américain. Seule la femme, sur le point d’accoucher, a survécu. Prise en charge à l’hôpital, elle est questionnée par la Gestapo au sujet d’une valise avec un émetteur retrouvée dans les décombres.

Ce quatrième épisode permet de creuser la personnalité taciturne et mélancolique de Stierlitz. Alors qu’il se souvient des difficiles moments de l’Union Soviétique pendant la guerre, de rares images documentaires montrent des cimetières allemands à Stalingrad et un défilé en forme de triomphe romain où des centaines d’ennemis, prisonniers, sont exhibés sur la Place rouge, devant le Kremlin et une population unie dans la douleur.

  • Épisode 5 : Le chef d’état-major d’Himmler, Karl Wolff, entame des tractations secrètes avec les Américains en vue de conclure une paix séparée excluant l’Union Soviétique, perçue comme une autre menace par les Alliés en Europe de l’Ouest. En Suisse, Wolff rencontre Allen Dulles, le chef de l’OSS, auquel il promet une capitulation rapide de la Wehrmacht en Italie. Toujours surveillé par la Gestapo, Stierlitz est chargé de faire échouer les négociations.

Passionnant épisode où se mêlent intrigues politiques secrètes et récit d’espionnage. Stierlitz est d’ailleurs absent une grande partie du récit, pour que s’installe doucement le nœud du problème qu’il devra résoudre.

  • Épisode 6 : Stierlitz commence à préparer le pasteur dissident à un voyage en Suisse. Au même moment, son ancienne opératrice radio est confondue par la Gestapo, qui menace de mener un interrogatoire violent. Avec l’appui de son supérieur, Stierlitz contrecarre l’opération et tente de protéger la jeune femme et son bébé.

Au milieu du récit d’espionnage, une jolie séquence (inexistante dans le livre) vient briser la routine de Stierlitz : un repas avec une partenaire de jeu et sa fille – à qui il confie n’aimer que les enfants et les vieillards. Quelques regards sans paroles suffisent pour comprendre que l’espion soviétique restera tout entier guidé par sa mission ; les rêves de la jeune allemande s’évanouissent au son d’une sonate pour piano. De quoi contredire tous les articles français qui parlent de Stierlitz comme d’un « James Bond soviétique » – il en est l’exacte antithèse.

  • Épisode 7 : Alors que l’opératrice radio est sous l’étroite surveillance des SS, Stierlitz accompagne discrètement le professeur Pleischner, un résistant, en Suisse pour une délicate mission sous couverture. Hélas, ce dernier oublie ses instructions et tombe dans un piège de la Gestapo, sans le savoir. Au même moment, à Berlin, Himmler est mis au courant qu’un agent double a infiltré ses services.

Une fois n’est pas coutume, c’est un long dialogue entre deux personnages complexes (Stierlitz et un général allemand) qui fait le sel de cet épisode : dans le train qui roule vers la frontière suisse, les deux hommes évoquent le sombre destin de l’Allemagne ; chaque phrase semble être une énigme ou un message codé, qui peut se comprendre de plusieurs façons différentes.

  • Épisode 8 : À son domicile, Stierlitz s’entretient longuement avec un adjoint de Müller, le chef de la Gestapo, qui lui indique les résultats compromettants de l’enquête menée à son sujet. Peu après, Müller parvient à récupérer les empreintes digitales de Stierlitz et à les confondre avec celle retrouvées sur la radio russe. Au même moment, Stierlitz part en Suisse avec le pasteur, sans savoir qu’il est désormais recherché.

Deux scènes rendent l’épisode intéressant : la longue discussion initiale entre Stierlitz et Holtoff, où la tension des dialogues permet de comprendre la redoutable efficacité de l’agent soviétique, flegmatique et sûr de ses multiples couvertures. Alors qu’il est accablé par l’évidence, il expose calmement tous les points qui le rendent parfaitement intouchable et décrédibilisent l’enquête de son interlocuteur. Plus loin (et plus léger), Stierlitz converse avec le pasteur à propos des chansons d’Édith Piaf, dont il admire le talent (hélas, la chanson Milord n’existait pas encore en 1945).

  • Épisode 9 : En Suisse, tandis que le pasteur Schlag rencontre des hommes impliqués dans les négociations secrètes entre les américains et les allemands, le professeur Pleischner comprend son erreur et se suicide. À Berlin, Stierlitz va devoir répondre aux questions de Müller, qui l’accuse d’avoir écarté un brillant scientifique du projet atomique allemand.

Progressivement, les dialogues laissent place à la dramaturgie et au suspense : suicide, assassinats et moments de tension annoncent les derniers épisodes et un début de résolution des différentes intrigues. Une curieuse séquence, étonnamment longue, scinde cet épisode en deux parties : la promenade du professeur Pleischner dans un zoo, captivé par la pantomime burlesque des ours – instants de liberté et d’innocence au cœur de la guerre, accentués par les rires des enfants.

  • Épisode 10 : Dans les sous-sols de la Gestapo, Stierlitz est en mauvaise posture : il doit justifier de ses empreintes sur la valise qui transportait la radio de l’agent soviétique. Seuls dans les ruines de Berlin, Kate, son bébé et un policier allemand tentent d’échapper à leurs poursuivants.

Épisode en forme de « huis clos miroir », essentiellement basé sur une tension dramaturgique : comment les personnages vont réussir à se sortir de situations inextricables ? Loin des explosions ou des courses-poursuites enragées, c’est toujours le détail et la lenteur qui rythment la mise en scène, au service du récit : la force des mots choisis d’un côté (en cellule) et le sang-froid de l’autre (dans la cave).

  • Épisode 11 : Alors que Kate est désormais seule avec son bébé dans les rues de Berlin, elle cherche à contacter Stierlitz, lequel doit rencontrer Martin Bormann et tenter de comprendre les intentions réelles de Müller, sans dévoiler son propre jeu.

Le dénouement de la série est aussi proche que la fin du IIIe Reich : Stierlitz laisse la parole à Müller (excellent Leonid Bronevoï) dans un long face-à-face au cours duquel le maître de la Gestapo assume son pessimisme quant à l’avenir de l’Allemagne. La partie d’échecs se poursuit autour de la figure énigmatique de Bormann, l’un des proches d’Hitler, censé détenir le fabuleux trésor du parti nazi. Le masque de Stierlitz devient un mystère pour le spectateur : est-il dépassé par les enjeux ou maîtrise-t-il parfaitement la situation ? Pour une fois, l’épisode se termine véritablement en point d’interrogation, à la frontière de la Suisse.

  • Épisode 12 : En Suisse, Stierlitz retrouve le pasteur, qui lui confie un enregistrement des négociations secrètes entre les Alliés et des dirigeants nazis. Mis au courant, Staline fait échouer l’opération Sunrise. Alors que Kate prend un train pour Paris, les renseignements soviétiques laissent le choix à Stierlitz : rentrer à Moscou ou continuer sa mission périlleuse en Allemagne.

Un dernier épisode qui jette les bases de la Guerre froide à venir, avec une économie de moyens stupéfiante : l’ambassadeur du Royaume-Uni est convoqué au Kremlin, se fait lire un rapport accablant pour les Alliés et s’en retourne sans un mot, conscient que l’opération Sunrise est un échec. Stierlitz, quant à lui, reste marmoréen jusqu’à la dernière minute de la série – y compris quand le spectateur croit entrevoir, un instant, une faille émotionnelle dans son regard froid.

Julien Morvan
Octobre 2024

Il faut se féliciter de pouvoir découvrir cette très belle série avec des sous-titres français, grâce à un généreux utilisateur YouTube. Elle existe également en DVD chez RUSCICO (2000), mais avec des sous-titres anglais, sous le titre Seventeen Moments of Spring. Naturellement, le visionnage doit être complété (voire même précédé) de la lecture du roman original de Julian Semenov, publié en français par les éditions du Canoë sous le titre La taupe rouge (2019).

Sources

  • Editions du Canoë – 10/18 (La Taupe rouge)
  • Stierlitz, le James Bond russe (documentaire de M.-D. Montel et C. Jones, 2020)
  • Tfaubau (chaîne YouTube)

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