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Attention les yeux ! Amateurs d’effets spéciaux, de grand spectacle, de cascades impressionnantes, amoureux des mers passionnés par les aventures de Jules Verne ou la littérature de science-fiction, cinéphiles exigeants et intransigeants : passez votre chemin, le plus vite possible. Ces aquanautes ne vous veulent pas de mal, au contraire, mais leur rencontre inattendue pourrait vous donner des suées.

Critique & analyse

Dans un futur proche, une nouvelle élite scientifique œuvre à la paix et à la prospérité du monde civilisé : les aquanautes. Formés à l’apnée longue et aux explorations sous-marines délicates, ils parcourent les océans pour effectuer diverses missions plus ou moins dangereuses. Ces « maîtres » des mers n’ont qu’une devise : Être devant, mais jamais au-dessus de l’humanité !

Production des studios Gorki pour la jeunesse, Les aquanautes (Акванавты) est l’adaptation d’un roman éponyme de l’écrivain de science-fiction Sergueï Pavlov (1935-2019), publié en 1968 avec un immense succès. Réadapté pour le cinéma, réécrit plusieurs fois avec la collaboration de l’auteur, de plus en plus dépassé par les volontés du studio et du réalisateur, il semble que le résultat final sur grand écran diffère très largement de l’œuvre originale. Sur bien des aspects, on est en droit de le regretter : ainsi, à titre d’exemple, le calamar géant du roman est transformé en … raie manta, faute de budget.

Pourtant, dès les premières minutes du film, le spectateur bienveillant peut sentir une réelle volonté de la production d’utiliser les nouvelles technologies disponibles : le générique est constitué de véritables images sous-marines, assez rares au début des années 1980 en Union Soviétique, et une première séquence s’ouvre par une chevauchée à moto, lancée à pleine vitesse sur des routes sinueuses, en caméra subjective. Las, l’effet escompté n’est pas aussi délirant que prévu. Sur des forums russes, des passionnés du film (?!) racontent des anecdotes sur le tournage : en Crimée, la production avait fabriqué de toutes pièces une imposante station sous-marine, transportée par un bateau militaire au large d’une crique de la Mer noire et immergée par un treuil pour être filmée sous l’eau. La raie manta, quant à elle, était une machine motorisée de plus de 300 kilos, conçue de façon à pouvoir imiter fidèlement les mouvements des ailes de l’imposant animal. Là aussi, le résultat de tant d’efforts est un peu décevant.

On sait aussi que la production chercha à imposer comme acteur vedette le héros des Pirates du XXe siècle (1979), Nikolaï Ereminko, qui déclina la proposition. Les deux films ont, du reste, plusieurs points communs : utilisation des mêmes décors sur la Mer noire, scènes sous-marines, action, cascades et vocation à toucher un nouveau public.

Je vais tenter de résumer complètement cette histoire abracadabrantesque :

Igor Sobolev (German Poloskov) est un aquanaute réputé. Lors d’une promenade à moto, il rencontre une jolie blonde, Lotta, amatrice de sensations fortes et de plongée, dont il tombe aussitôt amoureux. La belle fille en question est interprétée par la plantureuse actrice Irina Azer, sosie soviétique de Marie Dubois. Alors que les deux jeunes gens sont prêts à se marier, Igor découvre que le père de sa promise, le professeur Kerom, est une sommité scientifique qui vient de mettre au point une machine capable de sauvegarder n’importe quelle mémoire humaine. Envoyé dans l’Océan Pacifique pour une mission de sauvetage, Igor apprend qu’Irina est morte, tuée dans un accident de moto. Quelques jours plus tard, il plonge avec un coéquipier vers une station sous-marine pour tenter de résoudre la mystérieuse disparition d’un autre aquanaute. Les deux hommes font la découverte d’une raie manta géante, stupéfiante par son comportement : l’animal semble vouloir entrer en communication avec eux. Au terme d’une expédition solitaire de plusieurs heures, après de multiples hypothèses, Igor prend conscience de l’effroyable réalité : la machine du professeur Kerom gît au fond de l’océan, au milieu des débris d’un avion, à l’endroit même où la raie manta avait l’habitude de se reposer. L’animal a probablement été en contact avec la matrice de l’intelligence humaine et … le cerveau de Lotta parle à travers les mouvements d’ailes de la raie manta. Dévasté, Igor remonte à la surface et passe plusieurs jours à l’isolement, avant de reprendre ses missions à travers le monde.

Au bout de quarante minutes de cet imbroglio, où la musique exotique des fonds marins contraste avec le tragique des situations, très mal filmées, découpées et montées, chaque réplique devient délicieusement comique. Peut-être le sous-titrage français est-il en cause, mais certaines scènes semblent tombées du ciel – ou des mains d’un scénariste à bout de nerfs : « Sven … je suis tombé dans la cave rouge ! » dit l’un ; « Quoi ? Tu as entendu le Requiem des Profondeurs ? » s’exclame l’autre. Et le premier d’ajouter qu’il doit sa survie au comportement amical de la raie manta géante. Les Inconnus n’auraient pas été aussi loin dans un sketch parodique.

Honnêtement, il n’y a donc pas grand chose à sauver : Les aquanautes est un gentil nanar, d’autant plus savoureux que les dialogues et l’enchevêtrement des situations rendent l’intrigue absolument incompréhensible. On notera, toutefois, quelques inventions futuristes sympathiques et l’idée – plutôt originale en 1980 – que tous les peuples de la Terre semblent en paix, les soviétiques étant prêts à aider des français et des américains à extraire de l’eau lourde pour faire fonctionner leurs centrales nucléaires, le tout sous l’égide des Nations Unies !

Est-ce à cause de cette morale pacifiste que le film fut un échec ? Ou bien faut-il penser que les studios Gorki, conscients du naufrage, limitèrent volontairement la distribution en salles ? Je manque d’informations, sur ce point. Pour tout dire, je n’ai même pas réussi à trouver l’affiche soviétique originale !

Comment en suis-je arrivé à découvrir ce film ? Il est temps de vous dévoiler un secret : je suis moi-même un aquanaute du XXIe siècle, formé à l’exploration abyssale des méandres de l’internet, capable de rester en apnée pendant des heures pour gratter sous le corail des forums, threads et autres brocantes virtuelles qui bouillonnent sous nos clics insouciants. Au hasard de l’une de mes sorties, je suis tombé sur cette version sous-titrée en français. Je ne sais pas qui est l’auteur de cette trouvaille, ni même s’il est responsable du sous-titrage, mais qu’il soit remercié pour son travail de l’ombre !

Comment voir ce film ?

Le film semble trouvable en DVD chez nos amis Allemands (Icestorm Entertainment GmbH) et Russes. Hélas, je ne sais pas si une version française est disponible. Si, d’aventure, vous étiez en possession d’un tel objet de collection, n’hésitez pas à nous laisser un commentaire.

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