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En 1983, deux cosmonautes qui reviennent d’une mission dans l’espace sont victimes d’un mystérieux incident avec une entité inconnue. Quelques semaines plus tard, une jeune scientifique en disgrâce est engagée pour observer le comportement du seul survivant : elle comprend alors qu’une créature extraterrestre vit et se repaît à l’intérieur de son corps.

Critique & analyse

À première vue, il y a de quoi être saisi d’effroi. L’affiche, l’intrigue, les acteurs, le genre : tout concourt à me faire prendre la fuite, à grandes enjambées. Je me suis pourtant forcé à visionner ce Sputnik – Espèce inconnue (Спутник), l’un des rares films russes à avoir bénéficié d’une sortie DVD, Blu-ray et VOD en France au cours de l’année 2021, intrigué par son origine un tantinet juvénile. Il s’agit, en effet, du premier long métrage d’un jeune réalisateur, Egor Abramenko, suffisamment convaincant (on l’imagine) pour s’être vu attribuer un budget confortable de 194 millions de roubles (environ 2,3 millions d’euros), un casting de vedettes et les subventions de l’État, sans aucune autre expérience cinématographique que son diplôme du VGIK, la charge d’un seconde équipe sur Attraction (Bondartchouk, 2017) et deux courts métrages.

Passionné par le cinéma américain des années 1980 et fort d’une expérience dans la réalisation de clips et de publicités, Egor Abramenko a bénéficié de l’appui d’amis de sa génération, les producteurs Alexandre Andriouchtchenko et Mikhaïl Vroubel, pour lancer ce projet de réaliser un film de science-fiction mêlant horreur et existence extraterrestre :

« Je voulais faire mon premier film dans le genre horreur de science-fiction, quelque chose sur l’intelligence extraterrestre, la collusion de l’humanité avec les extraterrestres. Il n’y avait certainement rien de tel dans le cinéma russe. Cela sonnait comme un appel : faisons un « Alien russe » ! »

Egor Abramenko (2020)

La filiation avec le cinéma américain et les classiques du genre – Alien (Scott, 1979), The Thing (Carpenter, 1982) ou Predator (McTiernan, 1987) – est évidente, tout au long du film. Le jeune réalisateur emprunte nombre de séquences ou de plans précis à ses idoles hollywoodiennes et choisit les années 1980 comme cadre spatio-temporel de son histoire, tout en conservant le « décor » soviétique des années Andropov et Tchernenko, intéressant pour sa « texture visuelle » et son caractère transitoire.

Passée la jolie introduction en orbite autour de la Terre, tout le film se déroule dans un centre de recherches grisâtre, où déambulent des gardes-robots, des officiers au regard sombre, des scientifiques névrosés et des prisonniers de droit commun (destinés à un terrible sort). La « texture visuelle » de l’Union Soviétique recherchée par Egor Abramenko doit aussi montrer la déliquescence de l’État bureaucratique, aussi morne que les longs couloirs vides dans lesquels se croisent les personnages du film. Les accessoiristes n’économisent pas les effets de détails pour reconstituer cette ambiance si caractéristique – et finalement très banale – du monde communiste vu par le cinéma. Il ne manque que les méchants accents et les manteaux noirs du KGB. Dehors, naturellement, ce sont les steppes infinies et les hauts murs bardés de miradors.

Les personnages, en revanche, sont adaptés aux goûts contemporains du public des multiplex. Tous épris de liberté ou de reconnaissance, ils cochent les cases des stéréotypes obligatoires pour une diffusion internationale : une femme scientifique, rebelle contre une autorité inique (Oksana Akinchina) ; un médecin ambigu finalement prêt au sacrifice (Anton Vassiliev) ; un cosmonaute emprisonné malgré son statut de héros (Piotr Fiodorov) ; et, le dernier mais non le moindre, un lieutenant-colonel aux cheveux argentés (Fiodor Bondartchouk, qui n’en finira jamais de nous faire rire), sorte de « fou de guerre » à la recherche de l’arme absolue, vaguement inspiré de la figure mythique du colonel Kurtz dans Apocalypse Now (Coppola, 1979).

L’histoire, que je laisse volontairement dans l’ombre afin de ne pas frustrer d’éventuels spectateurs encore vierges de ce scénario sans originalité, égrène gentiment tous les poncifs du genre, au rythme sourd d’une musique angoissante (Oleg Karpartchev) comme il s’en produit des milliers chaque année dans les grands studios de Los Angeles. Un critique russe ne s’y est pas trompé en écrivant : « Si vous doublez ce film en anglais, personne ne remarquera qu’il a été tourné en Russie » (T. Shorokhova, 2020). J’ai déjà eu l’occasion de le déplorer sur ce blog, ce brouillamini des origines est une volonté tacite des distributeurs occidentaux, qui vendront au prix fort un film acheté au rabais.

Les amateurs du genre trouveront peut-être quelques distractions dans ce Sputnik très conformiste. La photographie de Maxime Joukov est plutôt réussie, notamment dans les contrastes entre le laboratoire et l’orphelinat. Le jeune réalisateur, quant à lui, nous évite la nausée d’une mise en scène « clipesque » et d’un montage épileptique. Il est même singulier de constater à quel point Egor Abramenko prend son temps dans la première partie du film, quitte à imposer un rythme lent, plus dramatique qu’effrayant. Hélas, la deuxième partie, plus banale, relève de l’esthétique impersonnelle propre aux grands studios. N’ayons pas peur des mots, la fin n’est pas loin d’être carrément affligeante.

Comment voir ce film ?

Sputnik – Espèce inconnue est disponible en DVD et Blu-ray, chez Condor Entertainment (2021), en version originale sous-titrée et en version française.

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