Avec son titre un peu mensonger, le distributeur français vend au spectateur amateur de films de guerre une fresque épique sur le siège de l’ancienne capitale russe, pendant les premiers mois de l’attaque allemande contre l’Union Soviétique. En réalité, La bataille de Leningrad (Saving Leningrad / Спасти Ленинград) raconte avant tout le tragique destin d’une péniche remplie de civils et militaires, mitraillée et coulée par l’aviation allemande, alors qu’elle tentait de traverser le lac Ladoga, le 17 septembre 1941.
Critique & analyse
L’événement est relativement méconnu en France : pendant l’évacuation de Leningrad assiégée, plusieurs péniches ou canonnières furent réquisitionnées pour embarquer des milliers de personnes, cadets, officiers, femmes, enfants et civils employés par l’armée, en direction des rives de Novaïa Ladoga (ce qui devint, quelques semaines plus tard, la célèbre « route de la vie »). L’une de ces péniches (n°752), vétuste, surchargée et prise dans une tempête en pleine nuit, fut successivement la proie de fuites dans la coque puis d’une attaque aérienne ennemie. Plus de mille personnes trouvèrent la mort dans des conditions tragiques ; environ 250 militaires et civils furent sauvés par d’autres embarcations, prévenues par un SOS de détresse. Les restes de la péniche furent retrouvés par la suite et plusieurs monuments commémorent, aujourd’hui, la catastrophe.
Le film d’Alexeï Kozlov s’inspire de ce morceau d’histoire dramatique pour soutenir les fondements d’une histoire d’amour entre un cadet (Andreï Mironov-Udalov, petit-fils de l’acteur soviétique Andreï Mironov) et la fille d’un supposé traître à la patrie (Maria Melnikova), sur fond d’héroïsme sacrificiel et d’action, largement inspirée des grosses productions hollywoodiennes.
Cette inspiration/contrefaçon est probablement ce qui frappe directement les yeux des spectateurs français – par trop habitués aux débauches extatiques des artisans américains. Le réalisateur connaît ses classiques et s’emploie à utiliser les mêmes effets que ses maîtres : ainsi des regards prostrés de Tom Hanks au cœur des combats dans Il faut sauver le soldat Ryan (Spielberg, 1998), revisités pour la prise suicidaire d’une colline aux allemands, façon débarquement ; l’avion qui s’abîme en mer est l’exacte copie d’un plan de Christopher Nolan dans Dunkerque (2017) ; quant aux scènes sur la péniche, entre naufrage et improbables séquences dans une voiture embuée, difficile de ne pas y voir d’obscurs reflets de Titanic (1997). Du reste, le film s’ouvre sur un plan de la Saint-Pétersbourg contemporaine puis sur l’interview d’une dame âgée qui évoque, au cœur de son appartement, les souvenirs de son amour de jeunesse – comme dans le film de James Cameron.
Si les clins d’œil à Hollywood ne gâchent pas vraiment le plaisir de l’action, le manichéisme des personnages pèse sur un scénario prétexte à d’écœurantes démonstrations de bons sentiments. Alexeï Kozlov, réalisateur et scénariste, met en scène des caricatures ressassées, caractères faussement ordinaires, débordant d’intempérances, comme si la véritable normalité n’était pas cinégénique. Dès lors, le cadet falot se transforme en héros et tireur d’élite, la jeune femme ergote sans raisons, le méchant capitaine du NKVD (déguisé en gangster de Chicago) se cherche des ennemis jusque dans la tempête puis s’excuse comme un enfant, etc. La moitié des personnages ne sert à rien : que vient faire ce père condamné au goulag alors qu’il était innocent – sinon à montrer son sacrifice individuel afin de sauver sa patrie ingrate ? À quoi sert la mère qui trie les nouvelles pour le journal local ? Et cet apparatchik qui impose son piano sur la péniche surchargée ? Et ces soldats allemands enfermés dans un bureau, pour lesquels une vieille péniche endommagée devient presque un objectif stratégique de premier ordre ?
Aveuglé par le soleil californien, le réalisateur oublie qu’il ne filme pas l’insouciance tropicale des marines de Pearl Harbor mais l’évacuation désordonnée d’une ville soviétique, assiégée par une armée allemande encore invincible. Gênantes, quelques scènes montrent les jeunes soldats organiser un tournoi de volley-ball devant la péniche, sous les yeux admiratifs de jolies jeunes femmes, maquillées comme des adolescentes de Palm-Beach.
Si l’on ajoute, en conclusion du film, les images d’un vrai défilé du Régiment immortel, il est difficile de ne pas chercher les ambiguïtés idéologiques d’une telle production. Las, sur ce point, les films se suivent et se ressemblent …
Comment voir ce film ?
La bataille de Leningrad n’apporte rien au genre, mais on reconnaîtra au réalisateur une certaine efficacité dans la mise en scène des séquences d’action, particulièrement sur la péniche pendant la tempête. De la même façon, les effets spéciaux sont plutôt réussis. Les acteurs s’en sortent honnêtement au milieu de dialogues insipides, sans éclats particuliers. Le film est disponible en DVD et Blu-ray (Condor Entertainment) depuis juillet 2020, en version originale sous-titrée et en version française.