STALINGRAD
Сталинград

Russie / 2013 / 130 minutes / Guerre

Réalisation : Fiodor Bondartchouk
Scénario : Ilia Tilkine
Photographie : Maxime Ossadtchi
Musique : Angelo Badalamenti
Production : Art Pictures Studio, Non-Stop Kino
Interprétation : Piotr Fiodorov, Andreï Smoliakov, Iouri Nazarov, Thomas Kretschmann, Maria Smolnikova, Yanina Studilina

Synopsis : En 1942, alors que les allemands tentent vainement de s’emparer de Stalingrad, un groupe de soldats soviétiques est chargé de défendre un immeuble stratégique qui ouvre le passage vers la Volga. Ils y rencontrent une jeune femme orpheline et devront affronter l’opiniâtreté d’un capitaine allemand désabusé.

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Critique & analyse

Faut-il entendre des excuses subliminales de Fiodor Bondartchouk lorsque la pénible voix-off du film termine enfin le calvaire, après 2h10 de souffrance ? « Grâce à eux [les héros de Stalingrad], je n’ai aucune idée de ce qu’est la guerre » – de fait, on pourrait alors accorder un peu de sympathie au réalisateur, lucide témoin de son naufrage en forme de délire pyrotechnique aux couleurs artificielles, loin, très loin de ce que n’importe quel quidam pacifiste sait de la guerre grâce aux récits et aux images d’archives. Las, le message est plus simpliste : le sacrifice des héros de Stalingrad a su éviter aux générations suivantes les horreurs de la guerre. De la part d’un cinéaste auteur d’un film sur la guerre d’Afghanistan, il y a de quoi sourire.

Stalingrad est une longue démonstration des dérives du cinéma contemporain vers une nouvelle conception de la création cinématographique chez certains réalisateurs, maîtres d’une caméra infirme, borgne, constamment sous perfusion technologique. Le film s’étire sur plus de deux heures puisque les trois-quarts des scènes sont montés au ralenti, l’effet spécial favori des créateurs et spectateurs hyperactifs, incapables d’envisager un plan fixe ou un moment de contemplation. Doit-on y voir un paradoxe ? Non, une simple continuité, logique, dans l’excès de découpage, pour mieux masquer l’absence de toute idée de mise en scène. Le ralenti moderne permet de mettre en lumière une action, la plupart du temps corporelle (bagarre, sauts, cascades…), que l’on ne pourrait pas admirer aussi bien si elle était montrée en temps réel ; dans les premiers temps du cinéma, le ralenti servait davantage à souligner une émotion (un regard, un visage qui se tourne…) : de l’excès d’émotion au trop-plein d’action, le résultat reste finalement le même. Il sert toujours le besoin de profusion, l’outrance et le mauvais goût du spectateur. En somme, le ralenti est une métaphore cinématographique de la société de consommation.

Du reste, peut-on encore parler de cinéma ? Stalingrad ressemble davantage à une agglomération de cinématiques propres à dynamiser un jeu vidéo. Le terrain est vaste (une grande place au milieu de la ville), deux camps s’affrontent avec des armes variées, pour un objectif relativement basique : s’emparer du bâtiment ennemi ou le défendre, on peut sélectionner le point de vue (ou la partie de jeu) qui nous amuse le plus. Les personnages ne réfléchissent pas, progressent dans l’intrigue tels des robots au service d’un démiurge invisible (l’État ou l’armée) et enchaînent des micro-combats sans intérêt stratégique. Comme de bien entendu, un petit groupe de cinq ou six soldats réussit finalement à mettre en déroute la moitié de l’armée allemande, sauve la ville et disparaît dans l’ultime sacrifice larmoyant, tel un scénario de Call of Duty, où un joueur seul peut aisément anéantir l’essentiel des forces de la Wehrmacht et penser s’être rapproché quelques minutes de la vérité historique, voire de la matérialité sensorielle d’un grand conflit mondial. Des soldats en feu sortant des flammes de l’enfer au ricochet précis d’un obus sur la carcasse d’un char abandonné, rien n’est épargné au spectateur-consommateur, qui se réjouira, dans son ivresse de ralentis nauséabonds, des nombreuses séquences d’action, au cours desquelles allemands et soviétiques s’affrontent indéfiniment. Deux femmes surnagent au-dessus du drame viril : la première (Maria Smolnikova) est une rescapée meurtrie des premiers assauts ennemis sur Stalingrad, elle est l’allégorie fragile de la Mère Patrie qu’il faut protéger, sauver puis féconder ; la seconde (Yanina Studilina), sans originalité, est la putain malgré elle, petite prolétaire (au physique de mannequin) obligée de coucher avec l’occupant pour survivre. Violée par un capitaine allemand dont elle ne comprend pas la langue (Thomas Kretschmann), elle en tombe amoureuse peu après – on appréciera la subtilité de l’écriture.

Dans de telles conditions, rien ne peut plus nous étonner : on apprend que les scénaristes se seraient inspirés du roman de l’écrivain Vassili Grossman, Vie et Destin (1980) ! Bondartchouk évoque même, dans une interview, le roman Croix de fer de Willi Heinrich (1957), adapté au cinéma par Sam Peckinpah dans les années 1970. Les références sont trop belles pour ce résultat, mais elles reflètent assez la personnalité du cinéaste, toujours prompt à utiliser diverses inspirations pour en faire un cocktail à sa sauce – c’était déjà le cas du 9e escadron (2005), son premier film, patchwork au rabais de grands classiques du cinéma de guerre américain. Tout aussi irritante, cette utilisation pompière du mythe de la « Maison Pavlov », cet immeuble d’habitation de Stalingrad occupé par les soviétiques comme poste d’observation à l’automne 1942. Érigée en emblème de la résistance contre les nazis, visitée et photographiée par les journalistes dès le retrait allemand, la Maison est aujourd’hui un lieu de mémoire dont l’importance stratégique est largement contestée par les historiens. Le réalisateur, moins regardant, saute à pieds joints dans le grandiloquent et sert une propagande soviétique un peu dépassée, que même les vétérans décrient. Pire, sa vision géographique de l’affrontement ressemble à celle d’un touriste américain, s’imaginant que la bataille de Stalingrad se résume à la fontaine Barmaleï (la ronde des enfants). Jean-Jacques Annaud n’avait pas été beaucoup plus original dans son Stalingrad (2001).

Tourné en IMAX 3D et distribué sur 2000 écrans, ce film a été un immense succès populaire en Russie, avec près de 42 millions d’euros de recettes. Il reste encore, à ce jour, l’un des plus importants succès du cinéma russe contemporain. À défaut d’y chercher une quelconque qualité (la photographie de Maxime Ossadtchi, peut-être), Stalingrad est une autre occasion de retrouver quelques acteurs populaires, tels Piotr Fiodorov, le beau gosse pas crédible une minute en bourlingueur usé par la guerre, Andreï Smoliakov en gros dur au cœur tendre et Iouri Nazarov, l’infatigable second couteau.

J. Morvan
13 juin 2021

DVD & Blu-ray

Éditeur : Sony Pitures
Date de sortie : 10 septembre 2014
Support : DVD
Langues : VOST, VF
Bonus : aucun

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