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Le cinéma russe avant la Révolution (1896-1917)
Le cinéma russe est l’un des plus anciens du monde. Si l’on considère, comme la plupart des historiens, que le 7ème art est né un jour de mars 1895 à Lyon, à la sortie de l’usine des frères Lumière, il apparaît à Saint-Pétersbourg quelques mois plus tard, le 4 mai 1896, lors d’une projection dans deux théâtres de la capitale (l’Aquarium et l’Ermitage). Cette arrivée du cinématographe peut correspondre à la volonté du tsar Nicolas II de voir son couronnement filmé par les opérateurs français. Camille Cerf, Charles Moisson et Francis Doublier réalisent pour l’occasion l’un des premiers films d’actualités cinématographiques.
Dans la foulée, l’écrivain Maxime Gorki, témoin d’une séance lors d’une foire à Nijni-Novgorod, se fait le chantre de cette nouvelle invention, « preuve de l’énergie et de la curiosité de l’esprit humain ».
Le premier réalisateur russe semble être Vladimir Sachine, un acteur moscovite, qui filme et montre plusieurs scènes de rue : un tramway, des pompiers, etc. Plusieurs autres pionniers réalisent, à la même époque, de courtes bandes d’actualités et le cinéma se répand dans toutes les villes de l’empire – essentiellement avec les productions françaises ou américaines. Peut-être les manifestations révolutionnaires de 1905 ont-elles été filmées, mais les négatifs ont disparu. Dans la première décennie du XXe siècle, les sujets légers ont la faveur du public : farces, drames bourgeois ou scènes de mœurs, parfois assimilées à de la pornographie pour leur caractère transgressif.
La production cinématographique russe naît en 1907, à l’initiative d’un autre pionnier : Alexandre Drankov, photographe de renom à l’esprit aventurier. Il est à l’initiative des deux premiers films du cinéma russe : Boris Godounov (1907, inachevé) et Stenka Razine (1908). La même année 1908, Drankov rencontre un incroyable succès en allant filmer l’écrivain Léon Tolstoï chez lui, à Iasnaïa Poliana. D’autres producteurs ou réalisateurs ambitieux se lancent dans des adaptations très théâtrales de classiques de la littérature russe (Gogol, Pouchkine, Dostoïevski …). Les courts métrages s’améliorent techniquement au tournant des années 1910. En 1911, Vassili Gontcharov et Alexandre Khanjonkov réalisent La défense de Sébastopol, moyen métrage de presque une heure, tourné en extérieurs, sur les lieux de l’action, et présenté au tsar dans son palais de Crimée. En collaboration avec la société française Pathé, Gontcharov tourne ensuite 1812, un siècle après la victoire russe sur les armées napoléoniennes, en s’inspirant de la peinture historique patriotique. La production cinématographique nationale devient l’une des premières du monde ; des salles de cinéma ouvrent en nombre partout dans le pays. Un premier star system fait même son apparition. Aux côtés des vedettes françaises (Mistinguett, Max Linder), des artistes russes acquièrent une véritable popularité : Andreï Gromov ou Ivan Mosjoukine, pour les acteurs ; Yakov Protazanov ou Evgueny Bauer pour les cinéastes.
La guerre qui éclate en 1914 impose d’abord les thématiques guerrières et patriotiques aux réalisateurs, mais les sujets plus légers retrouvent assez vite les faveurs de spectateurs toujours nombreux. Les salles ne désemplissent pas et des revues spécialisées voient le jour. Si les films européens ou américains ne sont plus diffusés, la production cinématographique russe est intense et se dissémine en trois pôles majeurs : Saint-Pétersbourg, Moscou puis Yalta.
Après les révolutions de février et octobre 1917, la plupart des grands industriels du cinéma émigrent à l’étranger (une bonne partie est accueillie par Charles Pathé en France), les salles ferment faute d’électricité, la pellicule vient à manquer et les artistes (cinéastes, acteurs et techniciens) se dispersent dans le désordre.
La naissance du cinéma soviétique (1917-1924)
Dès la fin de l’année 1917, un Commissariat du Peuple à l’éducation (Narkompros) est créé, avec une section dédiée au cinéma. L’objectif du nouveau gouvernement révolutionnaire est « d’enseigner » le socialisme aux masses en utilisant l’art et tous ses créateurs. Le 27 août 1919, Lénine signe le décret officiel qui nationalise le cinéma : c’est la naissance du cinéma soviétique – et cette journée est aujourd’hui encore fêtée en Russie comme la « Journée du cinéma russe ». Quelques jours plus tard, le 1er septembre 1919, est fondée la première école de cinéma du monde, le VGIK à Moscou.
« Vous devrez développer la production et en particulier impulser la diffusion du cinéma […]. Vous devez toujours garder présent à l’esprit que de tous les arts, c’est le cinéma qui est pour nous le plus important »
LÉNINE, 1922
La formule de Lénine est restée célèbre, mais on ne doit pas oublier que le chef des bolcheviques entend surtout faire produire des films documentaires ou des films d’actualités, destinés à glorifier la Révolution et la naissance du nouvel état prolétarien. Certains grands réalisateurs participent à cet effort, tel Dziga Vertov avec son Histoire de la guerre civile (1922). Le cinéma de fiction évolue également dès l’année 1917. Ainsi, le réalisateur Yakov Protazanov met est scène Ivan Mosjoukine dans Le père Serge (1918), personnage complexe qui cherche à résister à la tentation – le film montre, pour la première fois, une vision critique de l’aristocratie impériale, particulièrement du tsar Nicolas Ier.
La naissance de l’URSS en 1922 permet à toutes les républiques socialistes de développer leur propre cinéma régional, avec de nouveaux studios qui forment les cinéastes et les techniciens du cinéma. À Moscou, les grandes sociétés de production cinématographiques sont fusionnées et deviennent le Goskino. Les diables rouges (1923), d’Ivan Perestiani, est l’un des premiers grands succès du cinéma soviétique : il raconte l’histoire de deux enfants aux prises avec des contre-révolutionnaires et des anarchistes. Parallèlement à ces films de masses, une nouvelle génération de jeunes gens passionnés cherche à s’imposer sur un terreau sur lequel tout reste à construire, à explorer. Théoriciens et artistes, Lev Koulechov, Dziga Vertov, Edouard Tissé ou Sergueï Eisenstein se préparent à devenir les fers de lance d’une nouvelle avant-garde au service du communisme universel.
« Si la Révolution m’a amené à l’art, l’art m’a emporté entier dans la Révolution »
Lev Koulechov
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Ressources
- Joël Chapron, « 70 années de cinéma soviétique » (conférence), 2012
- Jean-Loup Passek (dir.), Le cinéma russe et soviétique, 1992
- Eugénie Zvonkine (dir.), Cinéma russe contemporain, (r)évolutions, 2017