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En 1988, dans les derniers mois de la guerre d’Afghanistan, un petit groupe de soldats volontaires est incorporé dans un régiment de parachutistes, chargés de reprendre la route de Khost, près de la frontière avec le Pakistan. D’abord cantonnés à des missions de surveillance, ils vont devoir affronter les embuscades des moudjahidines et participer à l’une des dernières batailles du conflit.

Critique & analyse

Premier film réalisé par Fiodor Bondartchouk, qui interprète aussi le rôle viril du colonel « Khokhol », Le 9e escadron (9 рота) est la reconstitution romancée d’une véritable opération militaire menée par l’Armée rouge, à la fin de la guerre d’Afghanistan : de novembre 1987 à janvier 1988, l’opération Magistral déploya plusieurs formations pour briser la résistance des moudjahidines dans la région de Khost, soumise à un blocus et de régulières escarmouches sanglantes. Pour sécuriser l’acheminement des convois de soldats, plusieurs bataillons (dont la 9ème compagnie aéroportée) furent chargés de s’emparer des collines environnantes. Le 7 janvier 1988, plusieurs centaines de combattants afghans lancèrent une série d’attaques sur la cote 3234 afin de récupérer cet avant-poste stratégique ; la bataille dura toute la journée et consacra la résistance héroïque des soldats soviétiques, qui dénombrèrent finalement 6 morts et une trentaine de blessés (contre 200 à 400 chez les moudjahidines).

Si le film est dédié à Sergueï Bondartchouk (décédé en 1994), Fiodor convoque pourtant d’autres maîtres, tout au long de cette histoire très balisée. La structure en deux grandes parties – l’entraînement puis le front – rappelle Full Metal Jacket (Kubrick, 1987), tout comme la formation du sergent instructeur, vulgaire et tyrannique (Mikhaïl Poretchenkov, le gros dur au cœur sensible). Suivent un ensemble de séquences au combat pour lesquelles le réalisateur puise dans les classiques du film de guerre américain, de La ligne rouge (Malick, 1998) à La chute du faucon noir (Scott, 2001) en passant par Platoon (Stone, 1986), Nous étions soldats (Wallace, 2002) et même Apocalypse Now (Coppola, 1979).

Solides sur le papier, ces références engluent rapidement le film dans un exercice de style en forme de copie brouillonne des blockbusters américains. Chaque action, chaque mouvement de caméra, chaque gros plan sur le visage sombre d’un soldat est souligné par une musique pesante ou des effets visuels inutiles (ralentis, longues focales), qui confèrent à cette aventure humaine des reflets de jeu vidéo balourd, sans aucune émotion. Inévitablement, les séquences héroïques sont traitées à l’artillerie lourde : lumière crépusculaire, ralentis pénibles sur le visage du seul survivant, musique percussive et dialogues mièvres, en voix off. À l’occasion, on ne serait pas si loin du nanar, tant le message ridicule tranche avec le tragique de la situation et les réalités complexes de l’Histoire.

Côté personnalités, Le 9e escadron ne fait pas non plus dans la finesse. Il faut voir (et en sourire, bien sûr) cet étalage de virilité machiste, où chaque acteur reçoit son petit moment de gloire physique. Fiodor Bondartchouk (acteur, réalisateur et producteur), qui ne permet pas qu’un autre lui les serve, se filme comme un Hercule désinvolte, « Khokhol pour les intimes, colonel pour les autres », tout en muscles et en blagounettes de régiment. Les autres ne sont pas en reste, mais limitent souvent la casse : Arthur Smolianinov est le prolétaire courageux, Alexeï Tchadov le petit bleu au visage juvénile, Konstantin Krioukov l’artiste du groupe (on le surnomme Joconde), Mikhaïl Evlanov « le grêlé » et Artiom Mikhalkov (le fils de Nikita) incarne celui qui se fait descendre le premier, de dos, par un enfant.

Dans de plus courtes apparitions, on retiendra aussi la composition abrupte d’Alexeï Serebriakov, capitaine instructeur en clair-obscur, et celle, dramatiquement comique, d’Alexeï Kravtchenko, capitaine Rambo pratiquement sans dialogues, toujours filmé torse nu, arme au poing et lunettes de soleil vissées sur le nez. Mikhaïl Efremov, quant à lui, est le dernier soldat à monter dans l’avion avant qu’il ne s’écrase, touché par un missile.

Au regard des moyens financiers accordés à cette production, il y a de quoi rager devant cette débauche d’effets visuels du plus mauvais goût. On apprend, par exemple, que la seule séquence de l’avion qui s’écrase sur sa base aurait coûté près de 450.000 dollars ! Les chiffres embellissent souvent les dossiers de presse mais ne masquent pas la fragilité de leur exploitation sur l’écran. En dehors de l’impressionnante explosion, que retient-on de cette scène ? Pas grand chose ; l’émoi du spectateur est à peu près aussi fort que lorsque les Avengers détruisent Manhattan pour sauver le monde.

Néanmoins, ça et là, entre deux séries de pompes et une tournante au fond d’un vieux hangar, quelques bonnes idées fleurissent au-devant de l’objectif épileptique de Bondartchouk : la lumière de l’Afghanistan qui monte, tel un rideau de théâtre, sur le sommeil des jeunes recrues ; une femme nue (Irina Rakhmanova), Vénus troublante et sensible, devant laquelle se prosternent des mécréants condamnés ; des visages d’enfants brisés par la guerre ; et quelques paysages : les montagnes arides forment des rangées de sentinelles blondes, immuables dans leur pureté maculée de sang. Le chef opérateur, Maxime Ossadtchi, connaît son métier – et, pendant le tournage, il reçut l’aide inattendue du directeur de la photographie de Ridley Scott, Slawomir Idziak, qui lui prêta des filtres pour filmer les montagnes.

À l’origine, le projet de Fiodor Bondartchouk devait placer ses héros au cœur de la guerre de Tchétchénie et aurait pu constituer une sorte de suite au premier long métrage de son père, Le destin d’un homme (1959). Devant les (évidentes) difficultés d’une telle ambition, le jeune réalisateur se tourna vers l’Afghanistan et bénéficia d’un budget très important pour l’époque, près de 10 millions de dollars, pour quatre mois de tournage répartis entre les studios de Moscou, la Crimée et l’Ouzbékistan.

Malgré certaines critiques dans la presse russe, jugeant le film pompier et égocentré (les gros plans sur Bondartchouk et ses magnifiques dents blanches), malgré les critiques de vétérans frustrés de voir leur victoire transformée en dernier fiasco avant le retour au pays (en réalité, Gorbatchev ordonna le retrait des troupes un an plus tard), Le 9e escadron fut un très grand succès public. Rétrospectivement, son caractère binaire, manichéen, sa vision du patriotisme prolétarien contre un système accusé de sacrifier ses valeureux soldats, sont autant d’éléments que l’on retrouve toujours aujourd’hui dans une écrasante majorité des films de guerre du cinéma russe.

Comment voir ce film ?

Le 9e escadron est facilement trouvable en DVD (Lancaster, 2008) en version originale sous-titrée, agrémentée d’une version française, doublée par des comédiens qui rivalisent dans l’exacerbation vocale de leur testostérone.

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