• Temps de lecture :4 min de lecture

Alors que SOY CUBA (Я — Куба, 1964) ressort dans une prestigieuse édition Blu-ray / DVD chez Potemkine (2020), un livret bonus offre au spectateur, avide de tout comprendre sur le chef d’œuvre de Mikhaïl Kalatozov, les lettres envoyées par le chef opérateur Sergueï Ouroussevski à son épouse, lors des repérages du film à Cuba. Rares et précieux, ces documents témoignent de l’engagement viscéral du technicien dans la composition des plans, dans l’utilisation novatrice de la caméra portée à l’épaule et met en lumière l’enthousiasme de l’équipe soviétique pour ce pays où la Révolution est vicace, active et semble encore promise à des espoirs concrets.

Toujours à la recherche d’innovations, Ouroussevski s’épuise autant que son réalisateur à trouver des solutions pour aborder les difficultés liées à une mise en scène complexe, échafaudée autour de plans-séquences. En 1980, le réalisateur Marc Donskoï écrivait à son sujet qu’« il était insurpassable dans les solutions tonales, toujours pleines de grâce et de finesse. Il utilisait pour cela de la fumée et des tulles pour créer des zones de lumières séparées ».

Il faut reconnaître que l’on peut facilement avoir tendance à oublier le rôle fondamental du chef opérateur (ou directeur de la photographie) sur un film, particulièrement en France où le cinéaste occupe, depuis la Nouvelle Vague, une place prépondérante, quasi divine, dans notre conception de la création cinématographique.

Formé à Leningrad puis à Moscou comme opérateur, Sergueï Ouroussevski fut l’un des 250 techniciens envoyés sur le front pour filmer la guerre, où il développa probablement son sens de la vitesse, la maniabilité des appareils et une inventivité plus empirique qu’universitaire. En 1943, il participa notamment aux prises de vues du documentaire d’Alexandre Dovjenko, LA BATAILLE POUR NOTRE UKRAINE SOVIÉTIQUE (Битва за нашу советскую Украйну). Ses talents furent remarqués pour la première fois pour son travail sur L’INSTITUTRICE DU VILLAGE (Сельская учительница, 1947) de Marc Donskoï.

Opérateur du dernier film de Poudovkine en 1952, LA MOISSON (Возвращение Василия Бортникова), il travailla la lumière en couleurs de la nouvelle adaptation du QUARANTE ET UNIÈME (Сорок первый) par Grigori Tchoukhraï en 1956. La même année marque sa rencontre avec Mikhaïl Kalatozov, ancien opérateur obsédé par la dimension esthétique de ses films. Ensemble, ils tournent quatre films, dont les classiques QUAND PASSENT LES CIGOGNES (Летят журавли, 1957), LA LETTRE INACHEVÉE (Неотправленное письмо) et SOY CUBA, dernière grande démonstration de son talent, jugé peut-être trop baroque, trop formaliste pour l’époque.

Ouroussevski s’essaya par la suite à la mise en scène, sans succès.

Véritable peintre de cinéma, enchanteur des ombres et de la lumière, l’opérateur envoie une très jolie lettre à son épouse en janvier 1962, quelques mois avant le début du tournage, dans laquelle il écrit : « Malgré toutes les joies de ce travail, je ne fais que penser à ce moment où je pourrai à nouveau remplacer la caméra par des pinceaux et de la peinture » ; indispensable loisir statique, origine et prolongement absolu de l’art cinématographique, pour cet artiste obsédé par l’idée du mouvement.

Né le 23 décembre 1908 à Saint-Pétersbourg, il aurait fêté aujourd’hui ses 112 ans !

Laisser un commentaire