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Méconnu en France, Carnaval (Карнава́л) est l’un des grands succès du cinéma soviétique du début des années 1980. Gentiment kitsch, comme beaucoup de films générationnels de cette époque, cette comédie romantique en deux parties, ponctuée de numéros musicaux, reste un agréable divertissement malgré un flétrissement marqué.

Critique et analyse

À peine sortie du succès de Moscou ne croit pas aux larmes (1980), la jeune Irina Mouraviova est engagée par les studios Gorky (spécialisés dans les films pour la jeunesse) pour incarner une nouvelle pimprenelle ambitieuse, rêvant de la grande ville et de ses plaisirs. L’histoire est presque aussi vieille que le cinéma : il s’agit d’une nouvelle déclinaison de la petite jeune fille de province fraîchement débarquée dans la capitale pour se faire un nom, accomplir ses rêves et trouver l’amour – elle y trouvera surtout de solides amitiés, comprendra que la vie est plus rude que dans les contes de fées et sortira grandie de cette aventure, pétrie de bonnes valeurs. De ce point de vue, le scénario de Tatiana Lioznova et Anna Rodionova ne fait pas dans l’originalité. Tous les ingrédients propres à tirer quelques larmes aux jeunes filles soviétiques des années 1980 sont réunis, à l’image de ce que l’on pouvait faire à la même époque en France (La boum, 1980, C. Pinoteau) ou aux Etats-Unis (Saturday Night Fever, 1977, J. Badham).

Au-delà de la mièvrerie et de séquences parfois caricaturales, le film n’est pas déplaisant. Irina Mouraviova, bien qu’un peu trop âgée pour le rôle (elle a 32 ans au moment du tournage), porte toute l’histoire sur ses jeunes épaules avec une véritable sincérité, passant d’un caractère folâtre à des accents dramatiques plus touchants, notamment dans les scènes avec ses parents. Autour d’elle, tous les personnages sont secondaires, y compris Youri Yakovlev, étonnant en père absent, dépassé par les événements et l’énergie de sa fille.

Rétrospectivement, une partie de l’intérêt que l’on peut porter à ce film réside aussi sur ce qu’il montre des inégalités socio-culturelles de l’Union Soviétique au crépuscule des années Brejnev. Sans que cela ne devienne un enjeu important de l’intrigue, la réalisatrice filme la communauté tzigane et le racisme qu’elle suscite dans les rues, de façon tout à fait ordinaire. Un peu plus tard, la jeune femme rêvant de succès sur les planches se retrouve contrainte d’accumuler les petits boulots pour survivre, allant même jusqu’à vendre ses quelques objets de valeur pour toucher une dizaine de roubles. Au cœur d’une Moscou qui opprime, l’égalité des citoyens n’est plus qu’un fantasme, parfaitement intégré par des habitants clairvoyants et lucides – loin des clichés, là aussi.

Au début de la deuxième partie du film, une séquence est particulièrement intéressante : l’appartement du père brûle, les pompiers sauvent ce qu’ils peuvent du mobilier et on lui annonce dans la foulée que l’immeuble sera rasé. Toute la famille est aussitôt relogée dans un autre appartement, moins bien équipé, plus étroit, sans eau ni gaz ni téléphone. Dans n’importe quel film européen ou américain, cette séquence aurait été montrée d’une façon tragique, comme une épreuve de plus à surmonter. Ici, les personnages rient, du début à la fin ; tout est prétexte à éclater d’un rire communicatif : une commode brûlée, des escaliers trop longs à monter, le transfert sur un camion. Incroyable force de résilience ; cette scène rare me semble très slave dans sa beauté ordinaire.

Les séquences musicales sont empreintes de la même sincérité, même si elles semblent terriblement démodées aujourd’hui. On peut s’amuser des clins d’œil à Funny Girl (Wyler, 1968) sur les chorégraphies de patins à roulettes ou de l’improbable exotisme des danses à l’Institut. En revanche, la très longue séquence finale et ses jolies chansons, sans retour à l’intrigue, est une intéressante porte de sortie : est-ce un rêve de gloire ou une réalité future ? Irina Mouraviova donne une partie de la réponse dans une interview disponible dans les bonus du DVD.

Au final, ce Carnaval tragi-comique reste un divertissement de bonne facture, très ancré dans une époque. Visuellement, la mise en scène de Tatiana Lioznova et la photographie de Piotr Kataev sont épouvantables, particulièrement sur les extérieurs ; c’est le gros point faible de cette production, impersonnelle dans la forme et dénuée de toute beauté plastique (à l’exception de la chanson « Appelle-moi … », un tableau feutré, intimiste, plus agréable).

Comment voir ce film ?

Le film est disponible en DVD chez RDM Edition pour un prix très modique (aux alentours de 5€), dans une version tout à fait correcte, avec des sous-titres français. Dans les bonus, une interview banale de l’actrice principale (7 minutes).

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