• Temps de lecture :4 min de lecture

Un ouvrage somme, comme les éditions Taschen savent si bien les faire ! Cet énorme pavé de 500 pages présente la collection personnelle de Susan Pack, une publicitaire américaine dont la passion pour les affiches rares l’a conduit à devenir une spécialiste mondiale des affiches de films soviétiques d’avant-garde, soit la période qui s’étend du milieu des années 1920 au milieu des années 1930. Une décennie de libertés, d’innovations et d’audaces esthétiques.

Une première édition avait été éditée en 1995 avec quelques petites fautes d’interprétation dans les commentaires des affiches. L’édition Taschen (2017), assez curieusement, a réédité le livre sans les corriger. Ainsi, comme le remarquait déjà Catherine Depretto dans un compte rendu pour la Revue des études slaves (2001), il est écrit que Trotski occupe une grande partie de l’affiche d’OCTOBRE (Eisenstein, 1928), alors qu’il s’agit en réalité de Kerenski. C’est peut-être un détail pour vous mais sûrement pas pour la censure qui ordonna la destruction de ce projet d’affiche. De même, le choix d’organisation thématique n’est pas des plus faciles pour se repérer dans l’ouvrage. Un regroupement par auteurs ou par ordre chronologique aurait probablement permis d’y voir plus clair – mieux vaut donc se référer à l’index en cas de recherche précise.

Passées ces minuscules critiques, le reste du livre est un bonheur absolu et rend honneur à un cinéma relativement oublié, à tel point que certaines affiches restent les seuls témoignages à propos de films qui ont complètement ou partiellement disparus. Ainsi de certaines œuvres de Lev Koulechov par exemple, comme LE RAYON DE LA MORT (Луч Смерти, 1925), ou de l’énigmatique VOYAGE VERS MARS, dont on ne sait presque rien (quatrième de couverture).

Rarement centrées sur un ou deux individus (des héros), les affiches des frères Stenberg, d’Alexandre Rodtchenko, d’Anton Lavinski ou de Nathan Altman, pour ne citer qu’eux, préfèrent jouer avec les formes géométriques, des cadrages déstructurés, des photomontages multiscalaires et imposent davantage la foule, les masses anonymes – acteurs principaux de la Révolution – qu’une vedette. L’art graphique de l’avant-garde reste un art au service d’une cause commune, avec une dimension intellectuelle et politique que le public peut difficilement saisir à cette époque. Cette complexité contribuera d’ailleurs à sa chute, Staline préférant des messages plus clairs, plus faciles à comprendre du plus grand nombre.

Outre de brillantes raretés esthétiques, comme cette magnifique affiche du film documentaire L’ŒIL DE VERRE (Стеклянный глаз, 1929) de Vitali Zhemchuzhni et Lili Brik, dans laquelle le corps de l’opérateur devient une caméra, l’ouvrage permet aussi de retrouver nombre d’affiches de classiques du cinéma soviétique, notamment les films de Sergueï Eisenstein, et permet de constater à quel point les cinémas européen (français, allemand, italien) et américain étaient présents en Union Soviétique. Il faut voir cette affiche revisitée du ROBIN DES BOIS (Robin Hood, 1922) d’Allan Dwan où le nom de Douglas Fairbanks est écrit … 5 fois, sous une tête gigantesque de l’acteur, pour être bien sûr qu’il n’échappe à personne !

Le livre est trouvable à peu près partout, neuf, au prix modique de 15€. Une référence !

Cet article a 2 commentaires

Laisser un commentaire